Bagarre sur la Grande Place

- Alors comme ça tu te crois parfaite et sans défauts, vermine ? Attends un peu que je t'arrache ce sourire de la face !

Dans un cercle formé par une foule de curieux, Melody faisait face à son agresseur. Ils se tournaient autour tels des fauves, traçant des silhouettes noires dans la lumière rouge du coucher de soleil. La jeune femme entendait les murmures des curieux, le genre de paroles peu flatteuses que peuvent se permettre ceux qui ne sont pas concernés, mais cela lui était égal. Elle était entièrement concentrée sur les mouvements de son adversaire. Par réflexe, une de ses mains glissa jusqu'à sa ceinture, en quête d'une arme, l'autre esquissa un geste magique qui devait roussir l'ennemi dans un bûcher digne des enfers. Sa blessure à l'oeil l'élançait.

*Je vais lui faire mordre la poussière et il m'implorera à genoux...*

Soudain, une autre voix inonda la conscience de Melody. Une voix aiguë, familière, rassurante, et surtout paniqueé :

* Melody ! Arrête cela immédiatement ! On avait dit que tu n'agressais pas les autres sans raison. On risque d'avoir des gros problèmes.*

Elle soupira. Comme d'habitude, son dragon choisissait toujours le pire moment pour intervenir.

*Ea ! * hurla-t-elle intérieurement. Déjà, tu pourrais arrêter de me materner tout le temps, d'accord ? Ensuite, je ne l'agresse pas "sans raison". Il m'a offensé et devra en payer le prix !
*Pourquoi nourrir le cycle de la haine, Mel ?*
Il ne semblait pas en colère. Plutôt triste pour elle. Melody se sentit coupable pendant un instant, puis sa nature reprit le dessus et sa fureur s'éleva plus ardente que jamais.
- Tu n'en as pas marre avec tes leçons de vie à deux sous ? cria-t-elle à pleine voix sans se soucier de qui l'entendait. Tu es un dragon, tu ne peux pas le comprendre, les notions d'honneur et de courage. Alors tu vas me fiche la paix et me laisser vivre ma vie !

Et elle ferma son esprit pour ne pas entendre tout ce que Ea pourrait opposer à ses arguments bancaux et contradictoires. Son adversaire fit une grimace provoquante, qui signifiait certainement : "Alors, tu attaques ou tu as la trouille ?" Mel prit une grande inspiration et bondit en avant, une dague dans une main, un feu rouge entourant l'autre.

Mais au moment où elle fondait sur sa proie tel un faucon, deux mains fermes la saisirent sous les bras et la tirèrent en arrière.

- Qu'est-ce que c'est que ce bazar? demandai-je d'une voix imperieuse.
Un de mes fideles sujets m'avait prevenu qu'une bagarre se declenchait sur la Grande Place, et je m'y etais aussi tot rendue, detestation les batailles futiles au sein de mon peuple.
Arrivee tres vite sur place, je remarquai une grosse foule tenue aussi serree que des sardines en boîte formant un cercle autour de deux silhouettes que je ne voyait pas, mais dont je pouvais sentir les auras. Une dragonniere de Feu et un Vampire...
Dans le brouhaha infernal qui regnait, personne n'avait remarque l'arrivee de la Reine d'Onyxia, tant la Grande Place entiere était focalisee sur cette vulgarize bagarre.
Enervee qu'on ne remarque pas ma presence, j'avais parle bien fort, après avoir fait tomber sur le sol grace a mes pouvoirs le vampire et traverser la foule en delire en me transformant en air pour attraper les epaules de la dragonniere.
Le silence se fit instantanement, et les observateurs s'inclinerent dans une profonde reverence.
Je me tenais au milieu d'eux, de mon air superieur et arrogant, comme d'habitude, tenant la faiseuse de troubles solidement.

Tous les jurons du monde seraient insuffisants pour décrire le trouble de Melody à la vue de sa Reine. Voilà bien la dernière personne qu'elle s'attendait à voir ! Paralysée par la stupeur, elle ne pouvait que cligner de ses yeux écarquillés, alors que son cerveau calculait frénétiquement la probabilité de fuir, proche du zéro absolu. La jeune femme entendit un bruit d'ailes dans son dos : Ea se posait paresseusement.

*Je t'avais prévenue... Alors, que comptes-tu faire à présent ?*

Elle ne répondit pas. La Reine attendait une réponse, et Melody était toujours incapable d'articuler le moindre son. Mon dieu, dans quel pétrin elle s'était fourrée ! L'image des Géoles se faufila dans son esprit, et elle sentit une goutte de sueur couler le long de sa tempe. Mel tourna la tête, mais apparemment personne ne comptait l'aider. Soudain, deux neurones un peu fous entrèrent en collision et la Dragonnière eut une illumination.

*Attends, attends. Tu penses à quoi exactement ?*
*Ca marchera, je te le promets ! Il faut juste que tu me soutiennes et on s'en sortira. Tout va bien, je controle la situation !*

Melody se sentait pousser des ailes. Sa panique s'était volatilisée, elle avait l'impression de devenir invincible. Elle s'adressa à la Sorcière du Temps :
- O ma Reine ! Permettez-moi de tout vous expliquer.
Après un hochement de tête peu amène, elle continua :
- Voilà. Je me nomme Melody Waless, Dragonnière de Feu dans les rangs d'Onyxia depuis un certain temps. Et je vous admire beaucoup. Sincèrement. Votre façon de vous relever malgré toutes les difficultés, de créer le camp d'Onyxia à partir du néant, votre détermination, cela m'a toujours impressionnée.

Melody sentit qu'elle devait rectifier le tir rapidement. Illynia Onyx semblait la prendre pour une lèche-bottes de base, qui misait sur la flatterie pour s'en sortir. La jeune femme arrivait au moment crucial de son récit. Son coeur battait à tout rompre, mais elle essayait de ne rien laisser paraitre. Elle était comme un sportif devant l'obstacle : ne surtout pas douter, ne surtout pas s'arrêter.
- Mon plus grand rêve est d'entrer dans votre garde rapprochée. Mais malgré tous mes efforts, vous ne sembliez pas me remarquer - sauf votre respect, Votre Majesté. J'en ai parlé avec mon ami ici présent, et nous avons décidé de faire une petite mise en scène. Nous ferions semblant de nous affronter, afin que je puisse vous montrer toute l'étendue de mes compétences. Malheureusement, vous êtes arrivées avant même que l'on ne puisse commencer. Mais je peux vous assurer que je n'avais nullement l'intention de blesser ce vampire.

Le vampire en question étant un peu trop assommé pour témoigner, Illynia Onyx s'adressa au dragon vert :

"Est-ce vraiment ce que penses ta maitresse, dragon?"
Sachant qu'il ne la trahirais jamais si elle mentait, même si l'ordre venait de moi, je me tournai plutôt vers le vampire.
"Dit-elle la vérité?" demandai-je d'une voix puissante qui ne tolérerait aucun mensonge.
La créature nocturne déglutit péniblement, ne souhaitant pas me contrarier. Il fit une courbette ridicule et jeta un regard noir à la dragonnière. Pourquoi l'interrogeai-je lui, et pas elle? Impatiente, je tapai du pied par terre, et il sursauta. Tout le monde avait un oeil rivé sur lui, et l'autre sur moi. "Je... elle dit la vérité, ma Reine" bégaya-t-il.
Je n'étais pas du tout convaincue par ce ton très stressé et les gouttes de sueur trempant son cou. Mais bon, cela m'amusait. Cette situation était plutôt intéressante.
Me remémorant les mots de Melody, je lui adressai la parole tout en lui tournant le dos:
- Alors comme ça tu souhaites faire partie de ma garde rapprochée, c'est ça? Tu sais, me dire que tu m'admire ne suffira pas, car je sais pertinemment que tout le monde ici est admiratif pour moi. Comme moi qui suis admirative devant le courage du peuple que j'ai su créé. Mais je vais te dire une chose, c'est très facile de te faire remarquer par ma royale personne. Il suffit de combattre efficacement, que ton nom me parvienne depuis les soldats. Et tu as de la chance, car ce nom, Melody Waless, j'ai souvenir de l'avoir ouïe auparavant. Une guerrière hors pair, massacrant l'ennemi sans hésitation, faisant couler le sang pour sa patrie. Oui, tu es une femme très intéressante, très utile....
Je me tus un instant, observant les réactions de mon interlocutrice, qui me poussaient à continuer ma tirade:
- Mais faire partie de ma garde rapprochée est ardue. Surtout que je n'en ai pas vraiment besoin ( j'eu un sourire fier). Pourrais-tu me donner une bonne raison de réfléchir à cette proposition?
Cette chose qu'elle me proposait me laissait plutôt perplexe, mais cela était une idée originale. J'attendis donc la réponse de Melody.

Avalei et Eloanna étaient à peine sortis de la taverne qu'ils entendirent un raffut qui semblait être provoqué par une bagarre de rue. Eloanna s'étonna, car ces incidents étaient rares, la Reine veillant à maintenir l'ordre intransitivement. De plus, contrairement à ce que pouvaient penser ces stupides Lunayelites, les Onyxiens étaient des êtres civilisés.
Elle s'approcha du cercle de spectateurs, curieuse de voir ce qui allait advenir. Elle ne connaîtrait sans doute jamais l'issue qu'aurait eu le combat, car la Reine arriva prestement et mît fin à l'altercation avec sa grandeur et sa classe habituelles. Eloanna suivit la suite des événements avec intérêt : ainsi cette jeune femme au sang chaud se nommait Melody Waless, et voulait faire partie de la garde rapprochée de Sa Majesté ?
Eloanna avait déjà entendu le nom de cette femme, renommée pour les exploits guerriers. Elle aurait pu lui proposer de faire partie de l'expédition à Lunayel, pour assurer la protection du groupe, mais bien que les compétences de Melody au combat soient hors pairs, Eloanna craignait que son tempérament fougueux et son incapacité à effectuer un travail en équipe seraient incompatibles avec leur projet. De toutes façons, Eloanna était persuadée que Melody aurait refusé son offre. Elle reporta alors son attention sur la conversation, qui començait à devenir intéressante...

Pour la première fois depuis le début de la conversation, Melody se sentait déstabilisée. Elle était partagée entre la fierté qui l'emplissait (intéressante et utile, rien que ça !), et un sentiment de perplexité. A vrai dire, elle n'avait jamais vraiment envisagé la question d'un point de vue logique et raisonnable et la question de Illynia la plongeait dans un désarroi profond.

*Comme on dit, le coeur a ses raisons que la raison ignore...* murmura une voix mélodieuse.
*Arrête ! Tu ne vas pas te mettre à philosopher, ce n'est pas le moment ! Aide-moi plutôt, fais quelque chose d'utile !*
*Je te pardonne parce que tu es énervée et que comme d'habitude, tu ne réfléchis pas avant de parler. Mais débrouille-toi seule.*
*Quoi !?*

Sentant que la foule l'attendait, Mel émergea des profondeurs de son esprit. Des milliers d'yeux de toutes les couleurs la suivaient, attendant la fin de cette conversation si inhabituelle. C'était un véritable spectacle de rue qui se déroulait devant eux. Ils méritaient une chute épique, une fin somptueuse. Alors, la jeune femme se redressa et se lança dans un nouveau discours, en se demandant comment elle faisait pour sortir tout cela. Peut-être qu'elle développait des capacités surnaturelles ? Ou un don artistique étrange, elle devrait peut-être se reconvertir en conteuse ?

Elle épilogua longuement ainsi, avec de larges gestes et des silences grandioses. Elle expliqua que selon elle, le pays était en danger. Et comme les Onyxiens organisaient des missions secrètes, planifiaient des stratégies en vue de prochaines batailles, les Lunayelites allaient probablement faire de même : tenter de s'infiltrer dans le palais royal en vue de surprendre des informations. Et même s'ils n'y arrivaient pas, ils pourraient toujours s'amuser à monter les Onyxiens les uns contre les autres. C'est en ces temps troubles, disait-elle, que nous avons besoin d'appuis solides, de guerriers fidèles et prêts à donner leur vie pour notre glorieux royaume. Lorsqu'elle s'arrêtait pour reprendre son souffle, on pouvait entendre les mouches voler. La Reine avait les sourcils froncés, la tête penchée sur le côté ; on voyait qu'elle réfléchissait aux arguments de Melody. Ea, le dragon, ne disait rien, mais sa maîtresse sentait qu'il était fier d'elle. Et elle acheva finalement :
- Je vous laisse réfléchir à ma proposition, votre Majesté.
Et s'en alla, droite et digne, ses talons claquant sur les pavés.